Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Dany Turcotte
au gala de l’Ordre du Bleuet le 2 juin 2018
Né le 9 mars 1965 dans le quartier Saint-Georges de Jonquière, Dany Turcotte peut déjà compter sur un public acquis. Sa mère, Noëlla Boivin 25 ans, l’artiste de la famille, a une voix assez belle pour faire carrière. Son père, Luc Turcotte, travailleur de la construction, l’humaniste d’heureuse nature « au moral d’aluminium en bon Arvidien qu’il est », affronte les tempêtes dans un éclat de rire. Sa sœur Louise, ses frères Michel, Marc et Jeannot complètent son premier club d’admirateurs. Le cadet de la famille aime communiquer, participer à tout ce qui est théâtre et humour. En 6e primaire, il profite pleinement de la permission d’animer la dernière demi-heure de cours du vendredi que lui accorde l’institutrice Lise Hébert, son Pygmalion en quelque sorte.
Évoquant ce souvenir, Dany affirme : « Je crois que ce professeur, sans le savoir, a créé un monstre. »
Pourtant, l’adolescent de 12 ans se voit futur chirurgien. La vocation s’effondre, comme lui, à sa première prise de sang. La question se pose : « Doit-on, à ce rêve évanoui, le nom du Groupe sanguin? » Le jeune camelot au Quotidien n’en est pas là. Président de sa polyvalente, il envisage désormais une carrière à la radio qui le mène en Arts et technologies des médias au Cégep de Jonquière, où le professeur de français et de théâtre, Dominique Lévesque, a fondé une ligue d’improvisation. Telle la lumière attire les papillons, la ligue est un aimant. À sa première audition, Dany subit un revers. Loin de refermer ses ailes, il monte un numéro de frères siamois avec Stanley Péan. Les siamois Dan et Stan, le blanc et le noir briguent la mairie de Laterrière. Ce duo convainc Dominique Lévesque de sa méprise. Il recrute Dany pour des soirées de « stand-up comic », ignorant l’importance que ce personnage va prendre dans sa vie comme ami et partenaire de scène.
Passant des soirées comiques au théâtre d’été, la troupe formée de Dominique Lévesque, Marie-Lise Pilote, Émile Gaudreault, Bernard Vandal et Dany Turcotte devient le Groupe Sanguin. Un rire contagieux anime les bars, les sous-sols d’église et le Café chez l’Bedeau renommé plus tard le Côté-Cour. C’est la bohème. Entassé dans une vieille Dustin 1972 où l’eau s’infiltre allègrement, le groupe se rend jouer à Trois-Rivières. Vient la reconnaissance. De 1986 à 1990, le succès est au rendez-vous. Au Vieux clocher de Magog, au Club Soda et autres scènes le Groupe Sanguin est applaudi plus de 1000 fois.
Avec le temps, si forts que soient les liens entre eux, plusieurs membres du Groupe Sanguin souhaitent continuer en solo. Dominique et Dany forment alors le duo Lévesque & Turcotte. En dix ans, alternant leur présence sur scène, ils imposent leurs personnages devenus des classiques, comme Dany Verveine ou le Gars fatigué, auprès de plus d’un million de spectateurs en 2000 représentations. Et pourtant, malgré 17 nominations à l’ADISQ, un record d’assistance et de longévité, Lévesque& Turcotte terminent sans trophée. Un DVD de l’Intégrale de ce duo hors norme, produit en 2006, assure la mémoire de leur passage sur la scène québécoise.
De cette étape majeure de sa vie et de sa carrière, Dany en trace un bilan d’une humanité intense. Celle d’une grande amitié, voire d’une fraternité, que la fin brutale de Dominique Lévesque, mort d’une crise cardiaque en 2016, est impossible à combler.
« La passion de Dominique, son acharnement ont été pour nous tous (Le Groupe Sanguin) la bougie d’allumage de notre goût de la création et du dépassement! Au fil des années, il est devenu mon confrère de travail, ensuite mon ami et finalement mon frère. Il me manque cruellement. Je le cherche encore! »
Plusieurs fois, le duo envisage de se séparer. Dans une entrevue accordée à Nathalie Pétrovski, Dany déclare : « Avant même qu'il soit question de Tout le monde en parle, on avait décidé de prendre un break d'un an vu qu'on commençait tous les deux à être atteints du cancer de la valise. » Dominique veut se consacrer à la création, à la scénarisation. Dany, tenté par la télévision, provoque la rupture finale. La fin de Lévesque et Turcotte n’est en rien la fin de leur amitié ni de leur admiration réciproque. Parrain du fils de Dominique, Dany aspire à un rythme de vie où il peut satisfaire son plaisir du bouillonnement culturel de la métropole tout en comblant sa passion pour la campagne. Ce couche-tôt aime la vie champêtre, planter des arbres, cueillir des champignons, élever des poules, des cailles et des lapins, récolter le miel de ses propres ruches. Ce trait de caractère prend source dans sa région natale dont il se dit très fier.
« Le Saguenay est mon point d’ancrage, la terre de mes racines! J’y retourne fréquemment, ma famille y est toujours! J’adore tout autant le lac Saint-Jean qui est pour moi le plus beau de tous les lacs! J’ai encore et toujours le Saguenay–Lac-Saint-Jean dans le cœur, c’est là que tout a commencé, à tous les niveaux, éducation, carrière, humour et amour! »
Si la scène a été source de grands bonheurs, la notoriété de l’humoriste a explosé lorsqu’il est devenu le fou du roi de la version québécoise de Tout le monde en parle, animée par Guy A. Lepage, humoriste lui aussi du temps de Rocket Belles Oreilles. Pas de trophée, une seule nomination au Gala Artis en 2009, mais plus de 100 000 abonnés suivent Dany sur Twitter et plus de 68 000 sur Facebook.
Affronter chaque semaine un public d’une telle ampleur a un impact inévitable sur la perception de soi. Succès et controverse se côtoient, amour et haine se manifestent. Impossible de plaire à tous. Dans un sens comme dans l’autre, les réactions sont extrêmes. Les courriels et, plus tard, les messages sur les réseaux sociaux le blessent. « La méchanceté, c’est comme si on m’ouvrait le cœur. »
Sur le plateau, il ne crée pas un personnage. Il est lui-même, avec son humour, sa gentillesse comme ses indignations, son mépris comme son admiration. Fragile, il a pris conscience de sa force. Il impose à la fois sa personnalité d’humoriste, d’environnementaliste et d’humaniste, sa fierté saguenéenne, son amour des régions. Sous le microscope télévisuel, il apprend à s’affirmer dans toute l’authenticité de son être, révélant être homosexuel pour devenir défenseur des droits des minorités et porte-parole de Gai Écoute, aujourd’hui Interligne.
Pour Care Canada, il grimpe au sommet du Kilimandjaro. Pour Leucan, il met deux fois ses cheveux en jeu. Cocréateur du papillon Noeudvembre pour Procure, il répond présent pour le 50e anniversaire d’Amnistie internationale Canada francophone ainsi que pour le livre Tendre la main au profit de la Fondation Les Impatients. Pendant 11 ans il participe à la Dystromarche à Jonquière. Porte-parole pour la Croix-Rouge, il s’implique dans l’option Art de la scène des jeunes de la Polyvalente de Jonquière. Il défend l’importance de la Bourse Rideau, disant : « On parle de ce qui se passe à Montréal, mais on ne sait pas exactement ce qui se passe ailleurs. Or, 44 % de ce qui est diffusé en terme de spectacles au Québec se fait en région. »
L’attachement de ce fier Bleuet pour les régions du Québec s’affirme sans équivoque pendant une décennie à parcourir quelque 200 villages pour l’émission La Petite séduction. Sensible à leur beauté, à leur diversité ainsi qu’à leur résilience, il se permet d’être chauvin à l’égard de sa région. « Je ne sais pas pourquoi, mais les gens qui viennent d’ici ont cette fierté qui fait que tout le monde sait qu'ils viennent du Saguenay–Lac-Saint-Jean. C'est comme une étiquette qu'on aime bien montrer à tout le monde. D'ailleurs, si tu regardes les artistes qui sont de la région, tout le monde sait d'où ils viennent. Pour bien d'autres régions, ce n'est pas le cas! »
Cette appartenance au Saguenay–Lac-Saint-Jean, ce talent et cette générosité qu’il fait rayonner au Québec, nous en sommes conscients, nous en sommes fiers et voulons, ce soir lui en rendre hommage.
Dany Turcotte
Artiste de scène et de télévision, grand humaniste
et ambassadeur de sa région
pour son exceptionnel dévouement au service des arts et de l’humain
fut reçu
Membre de l’Ordre du Bleuet